Elles sont rares, les sociétés technologiques québécoises qui regardent ailleurs qu’aux États-Unis pour leurs exportations. Le spécialiste du sans fil NuRAN Wireless de Québec fait donc plutôt bande à part avec sa mission de brancher le continent africain aux réseaux sans fil pour quelques dollars seulement par mois.

NuRAN Wireless a mis au point ces dernières années une technologie sans fil qui cible les régions du monde où l’infrastructure est inexistante et difficile à installer, comme dans certaines régions d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie. Sa solution « 2G, 3G ou 4G » se déploie simplement grâce à des tours légères faciles à installer, même là où il n’y a aucune route ni même aucune source d’électricité.

Sa formule répond de façon ingénieuse à une demande à laquelle les grands fournisseurs internationaux rechignent à satisfaire, car elle se trouve dans des endroits où la population est peu dense et où la promesse de profits est peu élevée. Or, certains pays imposent des pénalités à ces fournisseurs s’ils ne couvrent pas la totalité du territoire. Leur objectif sera donc d’y déployer de l’équipement qui coûte peu cher à construire et à faire fonctionner.

C’est là où NuRAN Wireless entre en scène. « Notre solution permet de couvrir les régions moins lucratives tout en ayant un modèle qui est rentable. Il faut un service qui ne coûte à l’utilisateur que quelques dollars par mois et qui est fonctionnel là où il n’y a parfois pas d’infrastructure électrique. Les téléphones doivent pouvoir fonctionner plusieurs jours sur une seule charge », explique Francis Létourneau, son président et chef de la direction.

Naturellement, l’entreprise vise la rentabilité. Mais surtout, celle qui compte une trentaine d’employés à Québec et quelques dizaines d’autres ailleurs dans le monde semble avoir dans son viseur le fameux fossé numérique qui sépare les régions rurales des régions urbaines. « Notre entreprise se qualifie comme une solution ESG [qui tient compte des critères environnemental, social et économique, NDLR]. Ce n’est pas un hasard. Nous atteignons 11 des 17 objectifs de développement durable de l’ONU. Nous sommes les hippies des télécoms », s’exclame M. Létourneau.

« C’est très gratifiant. Tu te couches le soir et tu sens que tu changes les choses », ajoute son vice-président responsable du développement des affaires, Denis Lambert.

55 millions de clients

NuRAN Wireless est actuellement présente en République démocratique du Congo et au Cameroun. La PME de Québec détient aussi des contrats au Soudan du Sud et bientôt en Namibie. Elle a fait une proposition pour un projet majeur de 15 000 antennes qui pourrait couvrir jusqu’à 21 pays. « Nous connectons actuellement 300 000 personnes. Nous espérons d’ici cinq ans connecter jusqu’à 55 millions de personnes », dit Denis Lambert. Les deux hommes d’affaires tiennent cette semaine un kiosque dans le cadre du Mobile World Congress de Barcelone, l’événement d’industrie le plus important en téléphonie mobile dans le monde.

Elles sont rares, les entreprises de chez nous présentes dans ces foires internationales, mais la demande est là. Un des atouts de NuRAN Wireless est de proposer à ses clients une solution de rechange à l’équipementier chinois Huawei pour une partie de leur infrastructure.

Le succès de Huawei vient de son accès à beaucoup de financement en provenance du système bancaire chinois. Ses produits ne coûtent pas cher, mais l’équipementier exige en échange des fournisseurs une exclusivité qui peut devenir plus coûteuse par la suite. De son côté, NuRAN Wireless offre à ses clients de financer elle-même leurs projets, avec qui elle partage ensuite les bénéfices. Au fil des dix années suivantes, les actifs sont transférés graduellement au fournisseur, mais NuRAN Wireless continue de les gérer, sous licence.

« Ça a commencé par une entourloupette où j’ai assuré aux fournisseurs que nous allions financer le projet. C’est ce qui [avait fait pencher la balance en notre faveur] par rapport à d’autres plus gros équipementiers, comme Huawei », explique Francis Létourneau.

 Nous opérons, nous développons et nous fabriquons notre technologie au Québec, et nos fournisseurs sont canadiens

 

En réalité, ce sont des banques régionales de développement et de reconstruction qui appuient financièrement NuRAN Wireless. Celles-ci permettent à l’équipementier de Québec d’assumer les coûts de déploiement de ses réseaux. Pour les fournisseurs, pouvoir amortir ces projets sur plusieurs années sans investissement massif de capital au départ est un plus. « C’est là que nous ajoutons de la valeur, puisque c’est aussi fiscalement avantageux », dit M. Létourneau.

Les utilisateurs, eux, ont accès à une technologie bon marché qui les connecte à des services numériques essentiels auxquels ils n’auraient pas accès autrement : services financiers, messagerie électronique, médias sociaux, etc.

« Et c’est de l’exportation pure pour le Québec, dit Denis Lambert. Nous opérons, nous développons et nous fabriquons notre technologie au Québec, et nos fournisseurs sont canadiens. »

On pourrait bientôt voir la technologie de NuRAN Wireless au Québec également. Une technologie qui leur permettra de brancher le nord du Québec sera lancée plus tard cet été. Au Canada aussi, brancher les régions rurales déplaît aux grands fournisseurs. Les habitants de ces régions n’attendront pas tous les satellites en basse orbite comme les Starlink de SpaceX, la société du milliardaire américain Elon Musk, pour se brancher à Internet. Ceux-là seront peut-être attirés par une formule plus abordable comme celle de NuRAN Wireless.

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.


Une version précédente de ce texte, qui mentionnait que NuRAN Wireless détient des contrats au Soudan, a été corrigée. L’entreprise en détient au Soudan du Sud.

 

 

https://www.ledevoir.com/economie/680769/l-entreprise-de-quebec-qui-defie-huawei-et-spacex